@Forrest
https://www.mediapart.fr/journal/france/140522/violences-conjugales-le-jugement-qui-condamne-le-candidat-lrem-jerome-peyrat
Investi par la majorité présidentielle malgré sa condamnation pour violences conjugales, l’ancien conseiller d’Emmanuel Macron continue de minimiser les faits. Mais le jugement rendu en septembre 2020 par le tribunal correctionnel d’Angoulême note que Jérôme Peyrat a « adapté sa version » aux stigmates, physiques et psychologiques, constatés sur son ex-compagne, ayant occasionné 14 jours d’ITT.
Ellen Salvi
14 mai 2022 à 21h33
C’est une condamnation qu’Emmanuel Macron et la majorité présidentielle n’ont pas jugée assez grave pour empêcher Jérôme Peyrat, ancien conseiller à l’Élysée, d’être candidat aux élections législatives. Le maire de La Roque-Gageac, condamné le 18 septembre 2020 pour des faits de violences conjugales, a été investi dans la 4e circonscription de Dordogne, où il avait été battu en 2017 par la députée La République en marche (LREM) Jacqueline Dubois.
Cette candidature a suscité de vives réactions, y compris parmi les soutiens du chef de l’État, qui avait promis, pendant sa campagne, de faire de « l’égalité femmes-hommes la grande cause de [son] nouveau quinquennat » et envisagé de créer « un nouveau fichier administratif pour les auteurs de violences conjugales ». « L’essentiel, c’est que vous ne restiez pas seules », avait-il dit en novembre 2020 en s’adressant aux femmes victimes, avant d’ajouter : « Nous ne lâcherons rien, je vous le promets. »
Quelques semaines plus tard, Jérôme Peyrat était nommé conseiller politique à la délégation générale de LREM, puis propulsé tête de liste pour les élections régionales de juin 2021 en Dordogne. Depuis l’officialisation de sa candidature aux législatives, l’ancien élu Les Républicains (LR), qui a longtemps travaillé aux côtés de Nicolas Sarkozy, s’est plusieurs fois défendu dans la presse, en évoquant « un amalgame qui est fait essentiellement par l’extrême gauche ».
« Ce n’est pas dans Le Figaro, ce n’est pas dans Le Parisien, ce n’est pas dans Libé [finalement si – ndlr], a-t-il relativisé dans Sud Ouest. Cela n’a été qu’une affaire de tweets, un coup de presse et une affaire de gens qui veulent tenter d’en faire une utilisation politique. » Le candidat a aussi livré sa version des faits, évoquant une « dispute » et insistant sur le sursis dont il a bénéficié. Cette affaire « ne peut en aucun cas être amalgamée aux drames familiaux que l’on voit dans les médias », a-t-il indiqué.
« Je conduisais, elle a arraché mes lunettes, j’ai essayé de la maîtriser, elle a reçu un coup au menton, je n’ai pas cherché à la frapper », résume-t-il. Mais le jugement rendu par le tribunal correctionnel d’Angoulême, que Mediapart a pu consulter, minimise beaucoup moins la violence des faits survenus le 30 décembre 2019, à La Roque-Gageac. Il évoque notamment « les photos de Madame X* prises par les gendarmes le jour du dépôt de sa plainte faisant montre de ses hématomes ».
La version « adaptée » de Jérôme Peyrat
Le document souligne surtout que « la description des faits de Monsieur Peyrat […] relève de l’ajustement de cause ». Lors de son audition devant les gendarmes, l’élu avait « dans un premier temps évoqué un geste de la main et avoir saisi le poignet de sa compagne ». Ce n’est que dans un second temps, « une fois que les photos de la victime prises par les enquêteurs lui avaient été présentées », qu’il a « adapté sa version aux autres hématomes et lésions relevés », poursuit le juge.
Les stigmates, tant physiques que psychologiques de la victime, ont été détaillés dans le certificat médical des urgences le 30 décembre 2019, relevant une incapacité totale de travail (ITT) de 14 jours : une douleur au niveau de la mâchoire « avec limitation de l’ouverture de bouche », « un hématome de la face vestibulaire de la lèvre inférieure droite », ainsi qu’« un syndrome de stress et d’anxiété post-traumatique à surveiller pendant une période minimale de trois mois ».
Le jugement du tribunal correctionnel d’Angoulême évoque également un second examen médical du 31 décembre 2019, qui « confirme l’état de stress post-traumatique et relève que les faits décrits sont tout à fait concordants avec les lésions constatées, à savoir un hématome au niveau de la face interne de la lèvre ainsi qu’un hématome au niveau des deux pommettes, ce qui peut correspondre à une claque pouvant avoir été donnée sur le visage comme décrit par la plaignante ».
L’ecchymose et les hématomes constatés sur le bras, l’épaule et le poignet de la victime sont « compatibles » avec la scène qu’elle a décrite.
« De même, le médecin considère que la pression sur la partie antérieure du cou que Madame X aurait subie alors qu’elle portait une écharpe peut tout à fait correspondre à l’ecchymose retrouvée au niveau de la partie antérieure de la base du cou. » Idem pour l’ecchymose et les hématomes constatés sur le bras, l’épaule et le poignet de la compagne de Jérôme Peyrat. Ils sont, toujours selon ce deuxième examen médical, « compatibles » avec la scène décrite par la plaignante.
Le document rappelle que l’accusé n’a pas contesté les lésions et les hématomes constatés. Il « a maintenu ne pas avoir frappé Madame X mais seulement avoir dû répliquer, pour des raisons de sécurité, à des actes incongrus de sa compagne, écrit le juge, évoquant notamment « le fait d’avoir tenté de l’empêcher de jeter ses affaires par la fenêtre du véhicule qu’il était en train de conduire » ou de « s’opposer à ce qu’elle lui retire les clés du contact alors que sa voiture était toujours en mouvement ».
Mais pour la justice, « cette explication de circonstance n’apporte aucun éclairage sur l’ecchymose au niveau du bras gauche constaté par les certificats médicaux, pas plus que sur le syndrome post-traumatique de la victime qu’une simple dispute conjugale – quand bien même serait-elle véhémente – ne saurait causer et ce nonobstant les fragilités intrinsèques de Madame X ». Et de conclure : « Par conséquent, au vu de ces éléments, il conviendra de déclarer Monsieur Peyrat coupable des faits qui lui sont reprochés. »
3 000 euros versés « en réparation du préjudice moral »
Interrogé par Mediapart sur le décalage entre ses déclarations dans la presse et les termes du jugement (voir notre Boîte noire), Jérôme Peyrat souligne que « ces faits ont été jugés il y a bientôt deux ans » et que « l’audience avait naturellement été suivie par des journalistes qui ne manqueraient pas de l’écrire s[’il] déformai[t] aujourd’hui [ses] propos d’alors ». « Comme je l’ai dit à l’audience, je n’ai jamais cherché à adapter mon discours et je ne cherche évidemment pas à le faire lorsque vos confrères m’interrogent », ajoute-t-il, insistant sur le fait d’avoir été condamné à une amende avec sursis.
En dépit de « la gravité des faits », le jugement relève en effet « les circonstances particulières dans lesquelles ces violences ont été commises, à savoir en pleine dispute conjugale survoltée instiguée par Madame X ». Il évoque notamment « les témoignages unanimes décrivant Monsieur Peyrat comme étant de nature calme et pondérée » et parle d’un « incident s’inscrivant manifestement plus dans un contexte de couple pathogène au bord de la rupture […] que dans la personnalité propre de Monsieur Peyrat, inconnu jusqu’à ce jour de l’autorité judiciaire ».
« Dès lors, au vu de ces éléments, s’il n’est pas question d’absoudre Monsieur Peyrat pour ce qu’il a fait et dont il demeure responsable tant sur le plan pénal que civil », le tribunal correctionnel d’Angoulême a suivi les réquisitions du parquet en condamnant l’élu à 3 000 euros d’amende, mais en assortissant cette peine d’un sursis. Sur l’action civile, il a été condamné à verser la même somme (sans sursis) à son ex-compagne « en réparation du préjudice moral ». Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel.
Dans sa réponse à Mediapart, Jérôme Peyrat rappelle en outre que son ex-compagne a « été condamnée à une amende ferme notamment pour des appels et des SMS malveillants envers [sa] famille assortie d’une interdiction d’entrer en contact avec [ses] enfants, [ses] parents et [lui-même] » et révèle qu’« elle a été fin 2021 mise en examen pour des malveillances graves, sur les réseaux sociaux cette fois, vis-à-vis de moi et mes enfants ».
Quelques semaines après la condamnation de l’élu, la plaignante avait en effet été sanctionnée à son tour pour des « appels téléphoniques malveillants réitérés », par le biais d’une composition pénale. Cette procédure permet au procureur de la République de proposer une ou plusieurs sanctions à une personne qui a commis certaines infractions de faible gravité et qui reconnaît sa culpabilité. Ce qu’a fait l’ex-compagne de Jérôme Peyrat qui a ainsi dû verser 800 euros à ce dernier.
L’ancien conseiller élyséen a plusieurs fois rappelé cette procédure pour renvoyer les deux affaires dos à dos et tenter ainsi d’atténuer les faits pour lesquels il a été définitivement condamné. « J’ai considéré que cette peine ne m’interdisait pas d’être un homme public, de continuer à faire de la politique », a-t-il indiqué dans Libération. « Je pense que vous constatez que le sujet ne peut être traité avec manichéisme, dit-il à Mediapart. Je le fais toujours, pour ce qui me concerne et en toute transparence vis-à-vis de mes concitoyens qui m’ont renouvelé leur confiance lors des élections municipales de 2020 et régionales de 2021. »
Comme l’ensemble des candidat·es de la majorité, il doit désormais signer une charte comprenant douze engagements pour valider son investiture. Cette charte se base notamment sur « l’éthique et la poursuite de la moralisation de la vie publique ». Des valeurs que la députée LREM sortante de la 4e circonscription de Dordogne, Jacqueline Dubois, évincée au profit de l’homme qu’elle avait pourtant battu en 2017, aurait souhaité de nouveau porter. « Moralisation de la vie publique, place et respect des femmes… En apprenant la nouvelle [de son éviction – ndlr], vous comprendrez que ma déception a été à la hauteur de mon engagement », écrit-elle dans un communiqué.
Soutenez Mediapart en vous abonnant. Le désabonnement est possible en 2 clics directement sur leur site et sans engagement.